NoC 12-87.059 FS-P+B+R+I

No6661


HB1

13 JANVIER 2015


CASSATION


M. GUÉRIN président,


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son
audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt
suivant :


Statuant sur les pourvois formés par :


- La société Grande Paroisse,
- M. Serge Biechlin, prévenus,
- L’association AZF Mémoire solidarité,
- M. André Visentin,
- Mme Geneviève Doucet,
- M. Denis Molin,
- Mme Claudine Molin,
- Mme Bianca de Larminat,
- M. Laurent Mauzac,
- Mme Monique Massat, épouse Mauzac,
- Le syndicat CFE-CGC chimie Pyrénées-Garonne, anciennement dénommé syndicat du personnel d’encadrement de la chimie des Pyrénées et de la Garonne,
- M. Jean-Pierre Du Bois de Gaudusson,
- M. Fayçal Bouita,
- M. Laurent Khatbi,

 

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- Mme Aicha Saiah Habbaze,
- Mme Amina Sayah,
- Mme Anissa Sayah,
- Mme Latifa Sayah,
- M. Mohamed Lyamine Sayah,
- M. Nordine Sayah,
- M. Rabah Sayah,
- Mme Samia Sayah,
- Mme Kenza Sayah, épouse Bendjeddou,
- M. Lucien Gérard,
- M. Mansour Borhani, parties civiles,


contre l’arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 24 septembre 2012, qui, pour homicides et blessures involontaires et dégradations involontaires par explosion ou incendie, a condamné la première, à 225 000 euros d’amende, le second, à trois ans
d’emprisonnement dont deux ans avec sursis, 45 000 euros d’amende,et a prononcé sur les intérêts civils ;


La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30octobre 2014 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Finidori,conseiller rapporteur, MM. Beauvais, Straehli, Monfort, Buisson, Pers, Mmes Mirguet, Vannier, Duval-Arnould, Durin-Karsenty, Schneider, Farrenq Nési, M. Bellenger, conseillers de la chambre, Mmes Harel-Dutirou,
Moreau, MM. Barbier, Talabardon, Mme Guého, conseillers référendaires;


Avocat général : M. Cordier ;


Greffier de chambre : Mme Randouin ;


Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de
la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, de la
société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, de la société civile
professionnelle RICHARD, de la société civile professionnelle WAQUET,
FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle ORTSCHEIDT, de la
société civile professionnelle MASSE-DESSEN, THOUVENIN et COUDRAY,
de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, de la société civile professionnelle FABIANI et LUC-THALER, de la société civile professionnelle BOULLEZ, et de Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CORDIER, Maîtres LYON-CAEN, RICHARD, WAQUET, BORÉ, MASSE-DESSEN, PIWNICA, BOULLEZ et BOUTHORS, avocats des parties, ayant eu la parole en dernier ;


Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

 

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- I - Sur la recevabilité du pourvoi de M. Mansour Borhani :


Vu les articles 487, 493, 567 et 568 du code de procédure pénale ;


Attendu que le pourvoi en cassation est une voie de recours
extraordinaire, ouverte seulement contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort, qui ne sont pas susceptibles d’être attaqués par les voies ordinaires au moment où le recours est formé ;


Attendu que M. Borhani, partie civile, qui n’avait pas été
représenté à l’audience de la cour d’appel conformément à l’article 424 du code de procédure pénale, s’est pourvu en cassation contre l’arrêt attaqué, rendu par défaut à son égard, alors que seule la voie del’opposition lui était ouverte ; que, dès lors, le pourvoi n’est pas recevable ;


- II - Sur les pourvois de M. Jean-Pierre Du Bois de Gaudusson,
M. Fayçal Bouita, M. Laurent Khatbi, Mme Aicha Saiah Habbaze,
Mme Amina Sayah, Mme Anissa Sayah, Mme Latifa Sayah, M. Mohamed
Lyamine Sayah, M. Nordine Sayah, M. Rabah Sayah, Mme Samia Sayah,
Mme Kenza Sayah, épouse Bendjeddou, M. Lucien Gérard :


Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;


- III - Sur les autres pourvois :


Vu les mémoires ampliatifs, personnel et les mémoires endéfense et en réplique produits ;


Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de
procédure que le 21 septembre 2001, à 10 heures 17, sur le site de l’usine chimique AZF à Toulouse, exploité par la société Grande Paroisse, est survenue une explosion qui a causé la mort de trente-et-une personnes dont vingt-et-une se trouvaient à l’intérieur de l’usine et dix à l’extérieur, des blessures à un grand nombre de victimes et qui a provoqué d’importants dégâts au domaine immobilier ; que l’enquête et l’information ont établi que l’explosion avait eu lieu à l’intérieur du bâtiment 221 dans lequel étaient stockées plusieurs centaines de tonnes de nitrates d’ammonium déclassés ; qu’à l’issue de l’information ayant donné lieu à de nombreuses expertises, la juridiction d’instruction a considéré que l’explosion était due à la rencontre de nitrates et de produits chlorés, incompatibles entre eux ; que la société Grande Paroisse et M. Biechlin, chef de l’établissement en cause, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, notamment des chefs d’homicides et blessures involontaires, ainsi que de destructions involontaires de biens appartenant à autrui par l’effet d’une explosion ou d’un incendie ;

 

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Attendu que, pour relaxer les prévenus, le tribunal, après avoir
écarté les différentes hypothèses envisagées et estimé qu’aucun élément ne venait étayer celle d’un acte intentionnel, laquelle ne pouvait, néanmoins, être totalement exclue, a jugé que, si des fautes dans l’organisation de l’entreprise étaient patentes, le lien de causalité entre ces fautes et les dommages occasionnés, bien que probable, restait hypothétique, la preuve n’étant pas établie que la benne déversée dans le bâtiment 221, une vingtaine de minutes avant l’explosion, contenait effectivement des produits chlorés ; que le tribunal a, cependant, déclaré la société Grande Paroisse responsable des conséquences dommageables des faits en sa qualité de gardienne, au sens de l’article 1384, alinéa 1, du code civil, des nitratesd’ammonium ayant explosé ;


Attendu que le ministère public ainsi que certaines parties
civiles ont relevé appel de ce jugement ; que la société Grande Paroisse a également relevé appel des dispositions civiles de la décision ;


En cet état :


Sur le premier moyen de cassation (défaut d’impartialité)
proposé pour la société Grande Paroisse et M. Biechlin, pris de la
violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme, du recueil des obligations déontologiques des magistrats, des
articles préliminaires, 591 et 593, 668 du code de procédure pénale ;


“ en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. Biechlin et la
société Grande Paroisse coupables d’homicide, de blessures et
destructions involontaires et les a condamnés pénalement et
civilement ;


“ aux motifs que, notamment, sur la forme du cratère, il ressort, toutefois, du débat qui s'est engagé entre M. de Lamballerie et
les techniciens de la défense que les résultats de la géo hysique sur
le site sont peu significatifs, de sorte que les interpolations réalisées
par MM. Chalaux et Bardot au moyen d'une modélisation en trois
dimensions caractérisent des choix effectués par ces derniers sur des
terrains très perturbés et selon la méthode des voisins naturels dont ils
ont eux-mêmes choisi les éléments à privilégier qui ont déterminé les
résultats ; que le débat a ainsi mis en évidence une méthode opaque
aboutissant, en l'absence de données du terrain concrètes, à des
résultats ne présentant pas des garanties suffisantes au niveau des
prolongements des interfaces de terrain, tandis que la méthode linéaire
sur base de données connues à partir de sondages les plus proches
corrélés avec la géophysique et la connaissance du terrain, méthode
utilisée par M. de Lamballerie, a fait ressortir que l'existence alléguée

 

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du dôme de grave ne reposait sur aucune observation réelle et élément
concret ; que, sur la transmission de la détonation et le rapport de
M. Lefebvre, M. Bergues a tenu compte de la constitution
chronologique, du volume du tas de nitrate d'ammonium présent dans
le box, ainsi que de la position du tas principal de nitrate d'ammonium
dans le 221 ; qu’il en a conclu qu'une partie du nitrate présent dans le
box a inévitablement dépassé le muret sur une longueur minimale de
1,60m et s'est retrouvée sur le passage reliant le box au stockage
principal ; qu’il a considéré que, de par la grande aptitude des billes de
nitrate d'ammonium à s'étaler, la base du tas principal pouvait
s'appuyer contre le muret, la base du tas principal côté nord était
alignée avec l'angle de passage, il n'y avait pas de réelle discontinuité
entre le box et le stockage principal ; qu’au demeurant, cela est
conforme à l’analyse développée plus haut à propos du bâtiment 221 et
de son contenu, et notamment aux déclarations des usagers principaux
de ce bâtiment ; que M. Bergues en a déduit que l'un des mécanismes
possibles de la transmission était la transmission directe de la
détonation par l'intermédiaire des produits ; qu’à partir des éléments
techniques fournis par la réglementation française et des études de l'US
Bureau of Mines, compte tenu de la configuration des lieux, M. Bergues
a constaté que le muret de séparation a assuré une fonction de
séparation sauf pour le produit présent dans le passage pour lequel la
transmission par onde de choc a été possible ; que dans son rapport
d'expertise M. Bergues a considéré le mécanisme de transmission de
la détonation par projection entre la matière explosive en train de
détoner (explosif donneur) et celle susceptible de détoner (explosif
receveur) ; qu’il s'est référé à l'annexe I de la circulaire du 8 mai 1981
fixant les règles de détermination des distances d'isolement relatives
aux installations pyrotechnique et aux expérimentations du US Bureau
of Mines et exposé que la distance maximale de transmission par
projection calculée à partir de la masse de 360kg de TNT correspondant
aux produits présents dans le passage était de 17m alors qu'en réalité
le 21 septembre 2001 la distance était bien moindre ; qu’il a rappelé que
le stockage de produit pulvérulent en vrac présentait un cas très
défavorable comme cela ressortait des études de Van Dolah, Gibson,
Murphy de 1966 ; qu’à l'audience, M. Bergues a exposé qu'il n'y aurait
pas eu d'initiation par projection si le muret existant entre le box et le
tas principal avait été suffisamment épais pour arrêter toute projection;
qu’il a montré en s'appuyant sur l'annexe 1 de la circulaire du 8 mai
1981 que dans le 221 le muret n'avait pas été construit pour résister à
la pression de 3 000 kg de TNT ; qu’il en a conclu qu'il y avait dans cette
hypothèse possibilité d'amorçage de la détonation si la distance est
inférieure à 34,6m par les éclats issus du muret ; que, selon M. Bergues,
aucun des trois mécanismes ne peut être écarté car tous ont pu
participer à la transmission entre le tas du box et le tas principal ; que

 

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tout d'abord, il a été démontré dans le paragraphe la position des tas
dans le box que les tas étaient disposés comme dans les figures 97 à
103 du rapport d'expertise Bergues avec cette précision que le tas du
box pouvait dépasser en hauteur le muret de séparation et empiéter
dans le passage entre les deux tas ; qu’il en résulte que la preuve est
rapportée de ce que les conditions de fait permettaient la transmission
directe au travers des produits explosibles présents sur le sol, par onde
de choc aérienne ; que M. Lefebvre a soutenu que des tests de
détonabilité de différents types de nitrate d'ammonium ont montré que
le tas de nitrate du 221 a une sensibilité de détonation relativement
homogène et inférieure ou égale à celle du NAI et que « son étude
expérimentale de la transmission de l'explosion d'une charge de nitrate
d'ammonium impactant un mur en béton » prouvait que les projectiles
issus de la fragmentation du mur de béton séparant le box du tas
principal ne permettaient pas d'amorcer le nitrate industriel, que l'onde
aérienne n'amorçait pas le nitrate industriel, pas d'avantage que la
conjonction des deux (onde aérienne et projectiles) ; que la défense a
produit une analyse de la piste chimique et une étude expérimentale de
la transmission de l'explosion d'une charge de nitrate d'ammonium
impactant un mur en béton armé » présentées à l'audience par
M. Lefebvre (« maillon 4 ») ; que M. Lefebvre, au soutien de son
argumentation, a affirmé dans son analyse de la piste chimique : « le
tas principal dans le bâtiment 221 était constitué de nitrate d'ammonium industriel et agricole et de produits déclassés ne correspondant pas aux spécifications internes de l'usine essentiellement pour des raisons de granulométrie. Une large part de ces produits répondait néanmoins aux spécifications commerciales de l'usine et la quasi totalité des NAA déclassés répondait aux critères de la norme NFU » ; qu’or, il n'a produit aucune indication ou document technique relatif aux spécifications ou expérimentations existant nécessairement avant le 21 septembre 2001 ; qu’indépendamment de la question de savoir si le NAA déclassé répondait aux critères de la norme NFU, les essais de
détonabilité de M. Lefebvre (figure 4.1) ont démontré que les balayures
de NAA étaient aptes à transmettre une détonation sur une hauteur de
600 mm ; que ce test a démontré qu'il s'agissait donc d'une matière
explosible bien plus sensible que le NAA non déclassé et que le
« classement ONU » n'était pas représentatif du caractère explosif
intrinsèque des fines de NAA ; qu’en outre, la cour est demeurée dans
l'ignorance du diamètre critique du produit utilisé par M. Lefebvre ; que
les essais de M. Lefebvre sur la sensibilité du nitrate receveur qui font
l'objet du tableau 4.1 et des figures 4.1 et 4.2 n'apportent, donc aucun
élément de nature à prouver que la chaîne pyrotechnique a été
interrompue ; qu’en ce qui concerne « l'étude expérimentale de la
transmission de l'explosion d'une charge de nitrate d'ammonium
impactant un mur en béton armée », il y a lieu de relever un certain

 

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nombre d'éléments affectant la fiabilité et la crédibilité de la thèse de la
défense ; que tout d'abord, M. Presles, directeur du laboratoire du
CNRS de Poitiers mandaté par la défense en cours d'information, a
exposé à l'audience qu'il avait démontré par l'expérimentation que la
détonation amorcée dans le mélange se propageait dans le tas s'il était
allongé et que de nouveaux essais étaient prévus à plus grande échelle
en collaboration avec l'institut SEMENOV ; qu’il a ajouté que M. Grasset,
directeur de Grande Paroisse, précisément et complètement informé de
l'état d'avancement de ses recherches, lui avait alors signifié qu'il n'y
avait plus de supports financiers pour continuer les expérimentations
alors même que celles-ci étaient programmées ; qu’ici encore sont
inconnus les masses volumiques et les diamètres critiques des
produits utilisés par M. Lefebvre ; que la cour ne peut considérer
comme suffisamment fiable la seule affirmation de M. Lefebvre à
l'audience selon laquelle le NAA et le NAEO utilisés étaient identiques
à ceux d'AZF dans la mesure où la comparaison des tests de
détonabilité du mélange NAA/NAI 75/25 réalisés par M. Lefebvre et de
ceux réalisés par l'institut SEMENOV sur le même mélange a fait
apparaître des résultats différents mettant en évidence la variabilité des
produits utilisés ou fournis et dans la mesure où l'aptitude à la
détonation des fines de NAA n'est pas précisée ; que M. Bergues a mis
en évidence à l'audience que si les deux murs réalisés à la demande de
M. Lefebvre avaient été coulés environ 30 jours avant les essais de
détonation, ils ont été mis en place quelques jours avant l'expérience,
à un moment où nécessairement ils étaient moins consolidés ; que, de
sorte, les pieds des murs n'avaient pu qu'être affaiblis et désolidarisés ;
que M. Presles, directeur du laboratoire de Poitiers, mandaté en cours
d'instruction par la défense, a confirmé sur ce point les observations de
M. Bergues ; que M. Bergues en a conclu à juste titre que, le ferraillage
n'étant pas prévu pour une telle manipulation, il est hautement probable
que le mur a été fissuré en pied ; que sur ce point, la cour considère
comme insatisfaisante la seule affirmation de M. Lefebvre qui a exposé
que le béton approche du maximum de sa résistance en 21 jours sans
présenter les raisons qui permettent d'affirmer que la manipulation d'un
ouvrage de 7 tonnes a pu se faire sans endommagement du pied et qui
n'a pas expliqué pourquoi le mur et la dalle n'ont pas été coulés sur le
champ de tir même ; que M. Bergues a mis en évidence à l'audience que
les conditions des essais de M. Lefebvre n'étaient pas représentatives
de la configuration du 221 : le sol du hangar n'a pas été reconstitué, le
GRVS de DCCNA a été placé en hauteur (figure 3.3 de la page 21), les
produits de détonation pouvaient se détendre au dessous du niveau
correspondant au sol du hangar, l'épaisseur de la dalle utilisée pour
représenter la dalle du box a été de 10cm alors que la dalle du box avait
une épaisseur de 20 cm ; que par ailleurs, à juste titre, M. Bergues a mis
en évidence que M. Lefebvre avait utilisé des confinements latéraux de

 

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nature différente, notamment du sable, et a exposé que l'onde de choc
n'avait pu qu'être perturbée, ralentie par l'énergie absorbée par les
grains de sable, de sorte que le mur n'avait pas été heurté par une onde
de choc plane mais par une onde de choc courbe qui l'avait poinçonné
et percé ; qu’il a précisé sans être contredit que la possibilité et la
manière de détruire de cette manière un mur de béton étaient
présentées dans la littérature scientifique référencée par M. Lefebvre ;
que la cour considère insuffisante sur tous ces points la réponse à
l'audience de M. Lefebvre qui s'est contenté d'affirmer qu'il avait essayé
de se rapprocher au mieux de la configuration d'AZF ; que la cour
considère également qu'il est regrettable que M. Lefebvre qui expose
en page 14 de son deuxième rapport que les caractéristiques
géométriques du cratère ont été relevées ne les ait pas annexées dans
son rapport, alors que la question du caractère progressif à partir de la
zone d'amorçage a donné lieu à controverse ; que M. Lefebvre a écrit
en page 18 de son rapport : « les données des sondes à ionisation,
ainsi que des images vidéo à grande vitesse (notamment celles filmées
au moyen du miroir) montrent que l'onde de détonation s'est propagée en conservant saplanéité sur toute la longueur du tas de NA » ; que cette affirmation l'a amené à ne pas procéder à un autre test préliminaire dans une autreconfiguration ; qu’or, M. Lefebvre n'a pas été en mesure d'apporter une réponse à l'observation de M. Bergues selon laquelle les sondes placées au milieu du tas, à la jonction du NA et du NAI, ne pouvaient donner aucune information sur la courbure de l'onde au voisinage du mur ; que les mesures de M. Lefebvre qui n'ont pas mis en évidence la courbure qu'a entraînée la dissymétrie des matériaux de confinement(la courbure devant être plus faible du côté du mur latéral en béton quedu côté caisse en bois) n'apparaissent pas fiables ; que M. Lefebvre n'a pas contesté que les sondes présentes au tir 3 et à la figure 3.1 ne couvraient pas toute la largeur de la charge ; qu’il a déclaré à
l'audience : « effectivement, on n'est pas au dernier centimètre mais on
essaie d'imaginer, on a la courbure » ; que l'examen de la figure 3.2 du
rapport de M. Lefebvre établit qu'il n'y a pas de dalle de béton entre le
mur et le sac de NA et que les conditions de l'essai de ce technicien
sont différentes de celles présentes dans le bâtiment 221 ; que la
figure 3.3 de la page 21 du rapport de M. Lefebvre démontre que celui-ci
a utilisé des sacs de sable pour bloquer le sable dont les caisses en
bois étaient remplies ; que M. Bergues a mis en évidence à l'audience
de la cour comment, sous couvert d'assurer le confinement (alors que
le bois est un matériau très compressible et le sable se compacte
facilement), M. Lefebvre a organisé un bon absorbeur d'énergie ; que
M. Lefebvre s'est défendu d'avoir voulu minimiser l'explosion mais il n'a
pas contesté sur le fond les propos de M. Bergues ; que l’examen de la
figure 3.5 du rapport de M. Lefebvre prouve que le troisième tir à grande

 

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échelle a été effectué au même emplacement que les deux précédents
et que le son était bouleversé ; qu’il apparaît ainsi que pour les deux
tirs avec muret en béton armé le sol sur lequel a été déposée la dalle de
béton était meuble et que l'énergie absorbée par cette terre meuble a
été supérieure à celle absorbée dans la configuration du bâtiment 221 ;
que M. Lefebvre à l'audience n'a donné sur ce point aucune explication ;
qu’il n'y a, donc, pas eu reconstitution à l'identique d'avec les
conditions du 221 ; que le rapport de M. Lefebvre qui en page 23 a
mentionné que des fragments du mur béton armé ont été retrouvés sur
une vaste zone et que « les fragments les plus petits se trouvaient dans
une zone proche de l'axe de la charge » n'a comporté aucun relevé
précis permettant de contrôler cette affirmation, de disposer
d'informations sur le sens des trajectoires ; que le rapport de
M. Lefebvre a énoncé à la page 27 sans relevés, observations, mesures,
explications l'affirmation selon laquelle « la cible est d'abord touchée
par le jet de matières brûlantes, puis par l'onde de choc et enfin par les
fragments de mur » ; qu’il s'agit d'une simple affirmation de sa part qui
n'est pas susceptible de constituer une preuve scientifique ; qu’à
l'audience de la cour M. Bergues a fait observer à M. Lefebvre que la
photographie référencée figure 3.14 (caméra 1), dont l'objectif était de
présenter par une vue frontale externe du mur la fragmentation du
béton, démontrait que le mur avait subi des déformations latérales ; que
M. Bergues qui a constaté que le mur des tests n'était pas aussi large
que celui du 221 qui comportait également des éléments de mur latéral
en a conclu avec raison qu'il n'y avait pas eu reconstitution des
conditions du 21 septembre et que les tests n'étaient pas
probants ; que M. Lefebvre a répondu que s'il avait tenu compte de la
disposition du tas du box, il n'avait pas « reconstruit le box » et n'avait
pas mis de mur de contresens de l'autre côté ; que M. Bergues a aussi
montré que l'examen des figures 3.15 et 3.31 prouvait que le jet de
produits de détonation qui perforait le mur émergeait à une altitude
correspondant au sol du box et que le sol sous le tas principal n'étant
pas représenté le jet n'était pas canalisé par la surface du sol mais se
détendait ; qu’il a commenté les vidéos rapides de la page 28 du rapport
de M. Lefebvre et fait apparaître que le mur qui n'était pas assez large
laissait passer les produits de combustion sur les côtés ; qu’il a
constaté que M. Lefebvre n'indiquait pas à quelle vitesse volait le pan
de mur impacté, alors que cela lui était possible à partir de la photo
précédant la mise en mouvement. M. Lefebvre à l'audience a accepté la
critique et admis que le mur n'était pas assez large ; qu’à la page 40 de
son rapport, M. Lefebvre a soutenu que la figure 3.33 montrait le mur
juste avant sa destruction complète ; qu’or, comme l'a commenté
M. Bergues cette photographie prise par la caméra rapide montrait tout
au contraire que le mur fissuré était projeté dans son ensemble, n'était
pas traversé par des produits de détonation, restait étanche et n'avait

 

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pas été détruit ; que M. Bergues a exposé que les vidéos du tir remis
par M. Lefebvre le 12 janvier 2012 prouvaient la mise en mouvement du
GRVS receveur rempli de nitrate ; que M. Lefebvre à l'audience n'a pas
contesté que le « big bag finit par rouler, que l'onde de choc l'a giflé et
que cet effet était accentué par rapport à AZF » ; qu’ainsi, il est établi
que le choix fait par M. Lefebvre de placer le NA receveur dans un
GRVS libre et vertical face au mur a entraîné sa mise en mouvement
mise en évidence dans la planche 29 de l'exposé réalisé par celui-ci ;
qu’or, comme l'a indiqué M. Bergues, il est certain que la mise en
mouvement du nitrate contenu dans le GRVS n'est pas représentative
du comportement du tas principal de nitrate du 221 et a eu pour effet de
rendre impossible l'explosion du produit et de faire échouer
l'expérience ; qu’à cet égard précisément, M. Presles, directeur de
recherche au CNRS et directeur du laboratoire de Poitiers, a démontré
comment les expériences de M. Lefebvre avaient été organisées en
méconnaissance de la détonique et des conditions réelles du 221 ; que
M. Presles a ainsi démontré que le champ de pression du mur de 1m
construit par M. Lefebvre pour ses essais était beaucoup moins étendu
et uniforme que celui produit sur un mur plus large représentatif du mur
du 221 ; qu’il a également démontré, tout comme M. Bergues, que la
configuration adoptée par M. Lefebvre créait un risque de perforation
du mur à sa base au moment de la détonation de la base ; qu’il a
également démontré, comme l'avait fait M. Bergues, que sous la
poussée des produits de détonation le mur était mis en vitesse et que
sa paroi libre prenait une forme convexe, avec comme conséquences
sa mise en tension, la formation de fissures et surtout la projection
divergente du mur au voisinage de la perforation avec un angle de
projection d'environ 15 degrés ; que la courbure du front de détonation a comme conséquence que les projections du mur n'atteignent pas la
cible (cube de 1m de côté) ; qu’ainsi, M. Presles a démontré que la
configuration adoptée par M. Lefebvre, par une sollicitation progressive
de l'axe de la charge (1m) vers les bords, par un léger mouvement de
rotation des éléments du mur de part et d'autre de l'axe, par une mise
en tension du mur le long de l'axe, par une courbure du front de
détonation, par la perforation du mur au voisinage de la charge (1m),
aboutissait nécessairement à ce que les projections du mur n'atteignent
pas la cible, à ce que l'onde de choc disperse partiellement le NA et à
ce que l'expérience de transmission de l'explosion d'une charge de NA
impactant un mur de béton échoue ; que la cour considère que les
conditions de l'expérimentation de M. Lefebvre démontrent, soit la
méconnaissance par celui-ci des lois de la détonique, soit sa volonté
délibérée de présenter une expérience établissant l'échec de la chaîne
pyrotechnique ; que dans les deux cas, c'est toute la fiabilité et la
crédibilité des expériences de M. Lefebvre qui s'en trouvent affectées ;
que M. Presles, en outre, a rappelé à l'audience de la cour qu'il avait fait

 

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savoir en cours d'information à Grande Paroisse qu'une simulation
numérique en 2D avait démontré que le muret renforcé construit dans
le 221 et séparant le box et le tas principal n'était pas un élément
susceptible d'arrêter l'explosion, mais tout au contraire de la faciliter ;
qu’il a également rappelé que Grande Paroisse avait, alors, décidé de
mettre fin à sa mission et de taire ses expérimentations ; que M. Presles
a également commenté les images des caméras rapides utilisées par
M. Lefebvre à T + 0,67ms, + 2,33ms, + 3ms, + 6,11ms, + 9,9ms ; qu’il a
montré que ces images validaient le travail de modélisation et de
simulation numérique effectué par son laboratoire pour le compte de
Grande Paroisse dans la mesure où elles apportaient la preuve que le
mur perforé à sa base avait conservé son intégrité au moment de son
impact avec la cible de NA ; qu’il résulte donc des travaux du
laboratoire de Poitiers que la détonation des nitrates du box placés
contre le muret avait pris appui sur celui-ci et avait choqué le tas
principal provoquant l'explosion ; qu’ainsi, la preuve est rapportée de
ce que le muret a facilité la mise en détonation du tas principal ; que
l'ensemble des éléments ci-dessus confirme la position des experts
judiciaires qui ont démontré que l'explosion se transmettait au tas
principal ; (« maillon 4 ») ; que la conclusion de la cour sur le
fonctionnement de la chaîne pyrotechnique le fonctionnement de la
chaîne pyrotechnique s'avère dorénavant définitivement établi et sans
que subsiste le moindre doute ; que par basculement, le contenu de la
benne contenant un mélange de NAI et de DCCNA provenant du
balayage du 335 a été déversé sur le nitrate d'ammonium très humide
de la croûte du sol du box et sur les tas du box du 221 ; que cette
opération a abouti à la création d'un mélange de NAA, de DCCNA et de
NAI dans un environnement humide ; qu’au niveau des interfaces
nitrate humide/DCCNA il y a eu production rapide de NCL3 avec
enclenchement immédiat du mécanisme réactionnel, stabilisation de la
température d'interface à un niveau élevé, production importante de
NCL3, transport par convection thermique et condensation des vapeurs
de NCL3 vers les zones les plus froides situées au dessus de
l'interface, d'abord dans le DCCNA puis dans le nitrate d'ammonium
industriel, enrichissement progressif de ce produit qui est devenu alors
un explosif sensible ; que le NCL3 a détoné spontanément lors du
dépassement local de sa température critique de décomposition ( 93 degrés C) qui a marqué le début de la chaîne pyrotechnique ; que la détonationest intervenue dans un délai d'une vingtaine de minutes après la miseen contact des produits ; que la détonation s'est propagée dans les espaces intragranulaires du DCCNA et du nitrate d'ammonium
industriel enrichis de NCL3, puis dans le reste de ce produit qui se
trouvait dans la benne, avant d'atteindre les deux tas de nitrate
d'ammonium industriel antérieurement déposés dans le box ; que la
détonation du tas se trouvant dans le box s'est transmise au tas

 

12


principal par transmission directe de la détonation par onde de choc,
par sympathie, par projection ; que la détonation s'est propagée à une
vitesse de 3 500 m/s du sas vers le tas principal, c'est à dire d'Est en
ouest à l'ensemble du tas principal composé de 25% de NA ; que, sur
la CEI, l’article 38 du décret no 77-1133 du 21 septembre 1977, alors en
vigueur avant sa codification à l'article R. 512-69 du code de
l'environnement dispose que « L'exploitant d'une installation soumise
à autorisation, à enregistrement ou à déclaration est tenu de déclarer,
dans les meilleurs délais, à l'inspection des installations classées les
accidents ou incidents survenus du fait du fonctionnement de cette
installation qui sont de nature à porter atteinte aux intérêts mentionnés
à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976. Un rapport d'accident ou, sur
demande de l'inspection des installations classées, un rapport
d'incident est transmis par l'exploitant à l'inspection des installations
classées. Il précise, notamment, les circonstances et les causes de
l'accident ou de l'incident, les effets sur les personnes et
l'environnement, les mesures prises ou envisagées pour éviter un
accident ou un incident similaire et pour en pallier les effets à moyen
ou à long terme » ; que pour satisfaire à son obligation de transmettre
un rapport d'incident, l'industriel a décidé de créer au lendemain du
21 septembre 2001 un groupe qualifié par elle Commission d'enquête
interne (CEI) ; que la CEI a été composée de membres de la direction de
la société Grande Paroisse (M. Fournet et M. Peudpiece) et de membres
de la direction d'Atofina (M. Motte, Py, Domenech) ; qu’elle a été dirigée
par M. Berthe jusqu'au 9 octobre 2001 puis par M. Mace De Lepinay ;
que ce dernier, alors retraité, était auparavant directeur industriel de la
branche chimie du groupe Total Elf Fina ; que son secrétariat a été
assuré par M. Lannelongue, directeur juridique chez Atofina ; que les
personnes chargées de mener des investigations sur les causes de
l'explosion et sur les éventuelles défaillances ou fautes de la part des
salariés ou des membres de la direction de Grande Paroisse étaient
donc, du fait de leur relation de travail, dans un lien de subordination
vis à vis de leur employeur qu'ils étaient susceptibles de mettre en
cause en fonction du résultat de leur enquête ; que les investigations
et analyses de la CEI étaient particulièrement importantes puisque
celleci, tout comme les enquêteurs, le juge d'instruction, et les experts
judiciaires, avaient pou mission de rechercher les causes de l'explosion
des nitrates du bâtiment 221 ; que l'examen des rapports et du
comportement de la CEI est donc un élément important du débat
judiciaire sur l'origine de cette catastrophe ; que les travaux de la CEI
ont été mentionnés à de nombreuses reprises dans les motifs de cette
décision ; que toutefois, plus globalement, l'étude des rapports
successifs de la CEI a fait apparaître son réel mode de fonctionnement,
son objectif final, et surtout son influence sur le bon déroulement de la
recherche de la vérité ; qu’à compter de sa création, la CEI a rédigé

 

13


douze rapports conservés en interne, du 27 septembre 2001 au
21 février 2002, puis trois rapports transmis à la DRIRE les 18 mars et
28 novembre 2002, et 24 novembre 2003 ; que les rapports officieux
n'ont été découverts qu'en juin 2002 à l'occasion d'une perquisition au
siège de la société Grande Paroisse, à Paris la Défense, effectuée sur
commission rogatoire par la police judiciaire ; que cela signifie que
cette société ne voulait pas que le SRPJ, le juge d'instruction, les
experts judiciaires, et l'administration en connaissent le contenu ; que
le contenu des premiers rapports de la CEI montre que celle-ci a très
rapidement compris la cause de l'explosion du 21 septembre 2001 ; que
les documents successifs ont analysé avec de plus en plus de logique
et de précision les modalités de collecte des emballages plastique du
site, la gestion des emballages plastique dans le bâtiment 335 et
notamment leur secouage, la présence d'au moins un GRVS de DCCNA
dans le 335, le contenu de la benne blanche transvasée du bâtiment 335
au bâtiment 221 par M. Faure avec les produits récupérés au sol après
secouage des emballages collectés, ainsi que les composantes de la
réaction chimique dans le bâtiment 221 ; qu’ils ont mentionné
également un ensemble de dysfonctionnements qui ont favorisé le
scénario chimique décrit plus haut et qui ont déjà été analysés par la
cour ; que pourtant, dans les deux rapports officiellement transmis à la
DRIRE, la plupart de ces constats et analyses n'ont plus été
mentionnés, cela sans qu'aucune explication plausible n'ait été
apportée à l'audience sur la raison d'être d'une aussi surprenante
évolution des contenus ; qu’une première illustration de ce constat a
concerné l'état de la dalle du bâtiment 221, problématique que la cour
a abordée en détails plus haut ; que dès le rapport du
27 septembre 2001, il était écrit par la CEI que le sol du bâtiment 221
était délité, très dégradé, que la surface était irrégulière et avec de
nombreux trous ; que la CEI est allée jusqu'à conclure dans ce
document que ce constat d'une dalle en aussi mauvais état faisait
apparaître le non respect de l'une des obligations mentionnées dans
l'arrêté du 18 octobre 2000 qui imposait une dalle étanche ; que ces
affirmations de la CEI s'expliquaient parfaitement par les témoignages
concordants des salariés utilisateurs du 221, témoignages que la cour
a mentionnés précédemment ; que ces salariés ont expliqué aux
membres de la CEI qui les ont sollicités, comme ils l'ont fait à la police,
à quel point cette dalle était abîmée ; qu’en ce sens, M. Domenech a
déclaré devant la cour que des témoignages semblaient dire que la
dalle n'était pas étanche ; que la description d'une dalle en très mauvais
état a été reprise dans les rapports suivants des 28 septembre,
7 octobre, 11 octobre, et 16 octobre 2001 ; que postérieurement, il n'est
indiqué dans aucun autre document que la CEI ait reçu des
informations contredisant les premiers constats ; que pourtant, dans
le rapport officiel du 18 mars 2002, il n'était plus fait état d'une dalle très

 

14


dégradée mais tout au contraire il était écrit que la dalle du
bâtiment 221 était « en bon état bien qu'ancienne » ; que cela signifiait
que la CEI avait décidé de ne pas transmettre à la DRIRE les
informations en sa possession concernant l'état du sol du
bâtiment 221 ; qu’il en est allé de même de l'humidité dans le
bâtiment 221 ; qu’il était écrit dans le rapport du 27 septembre 2001 que le jour de l'explosion les conditions atmosphériques rendaient le sol du 221 humide compte tenu du caractère hygroscopique du nitrate ; que
dans le rapport du 28 septembre il était précisé que de telles conditions
atmosphériques entraînaient la présence de flaques d'eau et de produit
humide au voisinage de l'entrée ; que dans le rapport du 11 octobre 2001 les membres de la CEI ont mentionné, outre l'hygroscopie du nitrate, des témoignages de salariés faisant état de zones humides et de flaques par temps humide ; que le rapport du 16 octobre 2001 a confirmé la présence de zones humides et de flaques près de l'entrée en cas de temps humide ; que comme cela a été détaillé plus haut, le dossier et les débats à l'audience ont confirmé cette forte présence d'humidité dans tout le bâtiment 221, du fait à la fois du temps
humide comme au moment de l'explosion mais également des
remontées de la nappe phréatique à travers une dalle qui n'était plus du
tout étanche ; que pourtant, dans le rapport officiel du 18 mars 2002, il
n'a plus existé aucune mention, même allusive, à la présence
d'humidité ou d'eau dans le 221 ; qu’or cette présence d'eau a été l'une
des composantes essentielles de l'explication chimique de l'explosion ;
que la CEI a donc décidé de dissimuler à la DRIRE l'existence
d'humidité dans le bâtiment 221 ; qu’un dernier exemple permet de
caractériser plus encore la méthode suivie par la CEI ; que comme la
cour l'a rappelé plus haut, dès sa première audition par la CEI le
23 septembre 2001, M. Faure a expliqué le secouage des sacs stockés
dans le 335, le balayage des produits tombés au sol, leur pelletage le
19 septembre 2001 en même temps que celui du contenu d'un GRVS de
NAI, le dépôt de tous ces produits pelletés dans une benne blanche,
enfin le déversement du contenu de cette benne dans le box du 221 le
21 septembre 2001 au matin, quelques dizaines de minutes avant
l'explosion ; que cela explique pourquoi dès les premières journées qui
ont suivi l'explosion les membres de la CEI ont étudié la possibilité
d'une détonation déclenchée par le mélange de produits chimiques
incompatibles ; que les faits et gestes de M. Faure ont été décrits dès
le rapport du 27 septembre 2001 ; qu’ils ont été repris dans les rapports
qui suivent ; qu’il y était de nombreuses fois question de « la benne
contenant le produit issu du secouage des emballages effectué dans le
335 », des « produits récupérés suite au secouage des sacs et
transportés dans le bâtiment 221 », des « produits récupérés par
balayage du sol mis en benne pour être apportés au magasin 221 » ;
qu’à compter du rapport du 4 octobre 2001, la CEI a décrit de plus en

 

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plus précisément le mécanisme chimique ayant pu entraîner l'explosion
des nitrates ; que dans le rapport du 7 octobre 2001, la CEI a fait
expressément le lien entre les produits chimiques présents au
bâtiment 335 et le circuit de récupération des emballages plastique de
l'entreprise ; que dans le rapport du 11 octobre 2001, la CEI a précisé
comment il était procédé au secouage des emballages plastique dans
le 221 et comment les produits issus de ce secouage s'étaient retrouvés
dans la benne déversée dans le bâtiment 221 ; que tout le processus
(récupération des sacs, secouage des sacs dans le 335, ramassage
après secouage, constitution de la benne, apport de la benne au 221)
était encore étudié, décrit et analysé en détails dans les rapports du
16 octobre et 5 décembre 2001 ; que la CEI expliquait notamment dans
le rapport de décembre 2001 qu'il était indispensable de rechercher
comment des produits en provenance du 335 avaient pu réagir après
leur mise en contact avec les nitrates du box du 221 ; que le rapport du
11 décembre 2001 a rappelé que le produit incompatible apporté dans
le 221 pouvait être du DCCNA ; que le rapport du 18 décembre 2001
contenait de longs développements sur les apports dans le 221 de
produits en provenance du 335 et s'intéressait en détails au ramassage
et au regroupement des emballages plastique du site ; que ce rapport
reprenait la description du secouage des emballages récoltés et le
mécanisme de constitution de la benne utilisée par M. Faure pour
apporter les produits tombés des sacs au 335 ; qu’il en a été de même
du rapport du 8 février 2002, qui rappelait que c'était dès le
23 septembre 2001 que M. Faure avait fait état de ce qui précède et avaitindiqué avoir déversé dans le 221 le contenu d'une benne constituée dans le 335, et qui analysait en détail l'hypothèse chimique ; que devant la cour, M. Domenech a confirmé que M. Faure lors de sa première audition avait expliqué aux membres de la CEI avoir mis dans la benne blanche les produits récupérés sur le sol du 335 ; qu’il avait en cours de procédure déclaré aux enquêteurs avoir compris que M. Faure « en secouant des sacs dans le demi grand avait pu récupérer les fonds et les placer dans une benne » ; que dans sa note manuscrite du
20 juillet 2002, M. Domenech a écrit à propos des déclarations de
M. Faure à la CEI juste après l'explosion : « (..) les sacs étaient secoués
pour être bien vidés de tout contenu éventuellement restant, le produit
tombé au sol était balayé, et ce produit pouvait éventuellement avoir été contenu dans la benne de couleur blanche que M. Faure avait vidée
dans le box (..) environ une demi heure avant l'explosion » ; qu’après
lui, toujours devant la cour, M. Motte a également confirmé que
M. Faure avait expliqué à la CEI avoir mis dans la benne déversée dans
le 221 les produits récupérés dans le 335 et provenant du secouage des
sacs ; que pourtant, dans le rapport transmis à la DRIRE le
18 mars 2002, il n'était plus du tout fait état des premières déclarations
de M. Faure concernant la mise dans la benne des produits issus des

 

16


sacs secoués ; et que contrairement à ce qui a été noté dans tous les
précédents rapports, la CEI a décidé d'écrire dans celui-ci que la benne
apportée par M. Faure du 335 au 221 ne contenait qu'un GRVS
d'ammonitrate, et que les produits issus du secouage des sacs dans le
étaient évacués hors de l'usine par la SURCA ; que cette transformation
des propos de M. Faure, qui avait lui même déclaré avoir mis dans la
benne transvasée tous les produits tombés au sol et non seulement le
contenu d'un GRVS, était d'autant plus injustifiée que les divers
membres de la CEI n'ont jamais réussi à expliquer pour quelles raisons
ce qui était acquis dans ses premiers rapports ne l'était plus dans le
rapport officiel ; que la CEI a donc décidé de ne pas informer la DRIRE
du pelletage et de l'apport dans le des produits issus du secouage des
sacs, éléments essentiels de l'explication chimique de l'explosion ; que
de la même façon, alors que dans la quasi totalité des rapports
intermédiaires il était fait état du secouage des sacs (ce qui suppose
qu'il restait des produits à l'intérieur) et que dans le rapport du
8 février 2002 la CEI rappelait que « la SURCA s'est plaint à Grande
Paroisse de produits dans certains des sacs récupérés », il était affirmé
dans le rapport officiel de mars 2002 que les GRVS après
transvasement ne contenaient quasiment plus de produits ; que cette
modification entre les rapports officieux et les rapports officiels donnait
à penser que les sacs collectés et stockés dans le 335 étaient tous
vides, ce qui est à l'opposé de ce qui est admis dans les rapports
antérieurs ; que toujours en ce sens, alors que la CEI a estimé dans son
rapport officieux du 8 février 2002 qu'après transvasement du contenu
d'un GRVS de DCCNA il ne resterait dans celui-ci que « quelques
centaines de grammes », cette quantité est devenue « de l'ordre du
gramme » dans le rapport officiel du 18 mars 2002 et cela alors que
M. Domenech avait prélevé un échantillon de DCCNA dans le GRVS
litigieux qui, non lavé, en contenait avec certitude bien plus qu'un seul
gramme sinon ce prélèvement n'aurait pas été possible ; que la cour
relève également que dans le premier rapport officiel de mars 2002, et
alors que de multiples expérimentations étaient en cours, tant dans le
cadre des investigations judiciaires qu'à la demande de la société
Grande Paroisse qui avait sollicité une pluralité d'organismes privés, la
CEI affirmait que l'hypothèse d'une origine chimique de la catastrophe
était infondée ; que ceci alors que dans tous les rapports officieux cette
piste a été très longuement et en priorité explorée ; que de fait, l'analysedes rapports successifs, ainsi que la comparaison entre les rapports intermédiaires (que la CEI a aussi fait le choix de ne pas transmettre à la police) et le rapport officiel remis à la DRIRE, montrent que la CEI a décidé de ne pas faire figurer dans ce dernier tous les éléments recueillis par elle et susceptibles de donner crédit à l'explication chimique de l'explosion ; que tous les éléments collectés par elle et qui alimentaient la piste chimique ont donc été délibérément omis dans le

 

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rapport de mars 2002 ; que ce choix de la CEI de dissimuler l'explication
chimique de l'explosion, et par voie de conséquence de ne pas tirer les
conclusions découlant inéluctablement de ses propres constatations, a eu un effet particulièrement regrettable ; qu’en effet, le refus de la CEI de transmettre à la DRIRE la totalité des éléments qu'elle avait recueillis lors de l'enquête interne, s'est traduit par la rédaction de rapports officiels délibérément erronés, et a contraint les dirigeants locaux et nationaux, enfermés dans leur logique de refus de la réalité, à expliquer que, faute de connaître l'origine de l'explosion, il leur était impossible de tirer la moindre leçon de la catastrophe du 21 septembre 2001, et donc d'améliorer depuis quoi que ce soit au niveau de la sécurité dansles autres sites du groupe ; que M. Desmarest, pour le groupe Total, a lui-même déclaré devant la cour qu'il n'y avait eu aucun retour d'expérience après la catastrophe de 2001 puisque l'entreprise a
considéré que la cause en était inconnue ; que, c'est ainsi que, alors
que l'absence de formation des personnels au premier rang desquels
ceux des entreprises sous-traitantes était la plus grave de toutes les
défaillances relevées et qu'il était indispensable et urgent de revoir les
conditions de formation et de protection de tous les salariés travaillant
sur tous les sites du groupe, les responsables à tous les échelons ont
affirmé devant la cour qu'il n'existait aucune raison de mieux former à
l'avenir les salariés de ces entreprises sous-traitantes ; que la cour
constate, par ailleurs, que la CEI a fait le choix, dès la première audition
de M. Faure qui a tout de suite fait apparaître la très forte probabilité
d'une origine chimique de l'explosion, de ne transmettre aucune
information d'aucune sorte à la police quand bien même les enquêteurs
avaient besoin de toute information permettant d'avancer dans la
recherche des causes de l'explosion puisque telle était évidemment leur
unique mission ; que la CEI n'a pas plus informé les policiers de la
découverte pourtant essentielle de GRVS de DCCNA dans le bâtiment
335 ; que pourtant, les propos de M. Faure, en ce qu'ils ouvraient la voie
à une explication de la catastrophe, s'ils avaient été portés à la
connaissance de la police puis du juge d'instruction auraient permis la
mise en oeuvre immédiate de toute mesure conservatoire et de toute
mesure d'investigation utile ; que par ailleurs, les experts judiciaires ont
fait valoir au cours de l'instruction qu'ils étaient restés en attente de
l'analyse de l'échantillon de DCCNA prélevé par la CEI dans le GRVS
découvert par elle dans le 335 ; que malgré les demandes successives,
la société Grande Paroisse n'a jamais transmis le résultat de l'analyse
et la CEI n'a pas envisagé de le solliciter pour en tenir compte dans sa
recherche de la cause de l'explosion, préférant, au contraire, contester
par principe la présence de restes de produit dans le GRVS litigieux ;
que cette volonté de retenir les informations importantes au sein de la
CEI transparaît également au travers des témoignages de certains de
ses membres ou collaborateurs ; que M. Vieillard, expert inscrit sur la

 

18


liste des experts judiciaires ayant été pendant un temps sollicité par la
CEI et qui a participé au début de ses travaux jusqu'au début de l'année
2002, a expliqué aux enquêteurs, à propos des réunions des membres
de la CEI : « très tôt il en était question du DCCNA. (..) En réunion il
nous a été dit que ces sacs étaient vides et nous n'avions aucune
raison de douter de cela ni de prouver le contraire » ; que M. Peudpiece
a déclaré lors de l'une de ses auditions par les enquêteurs en 2006 : «
Je ne pense pas que nous ayons pris le soin d'informer les enquêteurs
de la découverte de DCCNA au 335 » ; que surtout, le concernant, il
ressort de la procédure que M. Peudpiece a été entendu par les
enquêteurs le 9 octobre 2001, soit après les déclarations de M. Faure à
la CEI et après la découverte officielle du GRVS de DCCNA par des
membres de la CEI ; que la question suivante a été posée à
M. Peudpiece, alors qu'il n'avait encore fourni aucune indication utile
à la police : « Nous avions appris que vous faisiez partie de la
commission d'enquête interne désignée par la direction générale de
Grande Paroisse. Pouvez-vous nous communiquer des éléments qui
n'auraient pas été portés à notre connaissance à ce jour, tels que par
exemple la présence d'autres produits produits ou objets dans le
bâtiment 221 ? » ; que M. Peudpiece a répondu : « Nous enquêtons sur
les différentes bennes qui auraient pu être recyclées vers le sas ; qu’à
ce sujet nous avons reçu des témoignages concernant le problème
relatif à une récente fuite d'acide sulfurique et sa neutralisation. En
l'état de l'enquête interne il semble que ce produit n'ait pas été recyclé
dans ce bâtiment sans que je puisse vous dire actuellement où est allé
ce produit ; que nous recherchons également l'origine du contenu des
bennes transportées dans le sas du bâtiment 221 dans les jours
précédent les faits. Il est trop tôt pour vous donner une réponse à ce
sujet mais je m'engage à vous renseigner dans les prochains jours » ;
que M. Peudpiece a donc ce jour là décidé de ne pas transmettre les
informations sur les propos de M. Faure, le GRVS de DCCNA, et l'apport
des produits pelletés au sol dans la benne constituée par M. Faure, cela
quand bien même la question de l'enquêteur concernait expressément
les apports dans le 221 ; que M. Motte, questionné par le tribunal
correctionnel à propos des premières et cruciales déclarations de
M. Faure et de l'absence de transmission d'une information essentielle
à la police a déclaré : « Suite à l'entretien de M. Faure il a été décidé de
faire un inventaire ; qu’on ne savait pas ce qu'on allait trouver. Il fallait
qu'on prévienne la police sur des points importants, on l'a fait ; que ce
point là on n'a pas jugé qu'il était important » ; que pourtant les
rapports officieux ont démontré que tous les membres de la CEI ont dès
l'audition de M. Faure considéré ses déclarations comme très
importantes et même essentielles à la compréhension de l'origine de
l'explosion ; que M. Berthe, interrogé par les enquêteurs sur l'absence
de transmission des premières et essentielles informations récoltées

 

19


aux policiers du SRPJ a répondu en ces termes : « Dans les premiers
jours de l'enquête interne nous avons commencé à faire une mise en
forme de notre collecte d'informations. Une réunion de synthèse a été
effectuée pour savoir comment compléter nos premières investigations.
Nous avons également commencé à définir à quel spécialiste il fallait
s'adresser » ; que M. Berthe, en réponse à une autre question, a
confirmé que les membres de la CEI ont été très vite informés de
l'anomalie résultant du transfert de produits du sud au nord. M. Berthe
a ajouté : « Nous n'avons pas remis en cause les déclarations de
M. Faure ni celles des autres témoins entendus. (..) Par contre trouver
un sac de DCCNA vide et non lavé pouvait présenter un problème à
condition qu'il y ait du produit dedans » ; que les propos de M. Berthe,
qui confirmaient après ceux de tous ses collègues l'existence et la
nature des informations cruciales récoltées par la CEI quelques heures
après l'explosion, ont montré à leur tour que c'était bien par choix
collectif qu'il avait été décidé de ne rien dire à la police dans les jours
qui avaient suivi la réception de ces informations ; que M. Fournet a
précisé aux enquêteurs avoir participé à toutes les réunions de la CEI
dès sa création ; qu’il a affirmé avec vigueur que la présence d'un
GRVS de DCCNA dans le bâtiment 335 était une « anomalie flagrante »
et même que « cela est choquant » ; que pourtant lui-même, pas plus
que les autres membres de la CEI, n'a cru devoir informer le SRPJ de
la découverte d'un tel élément qui pourtant aurait été très important
pour les policiers et au-delà le juge d'instruction et les experts
judiciaires ; que tous les responsables de la police ont fait valoir devant
la cour qu'ils n'ont pas su tout de suite qu'une commission d'enquête
était créée ; qu’ils ont également exposé que le refus de la CEI de leur
transmettre des informations aussi utiles avait retardé et perturbé leurs
investigations rendues plus difficiles ; que la cour constate que cette
attitude de la CEI vis à vis de la police est totalement cohérente avec
son choix de ne pas transmettre à l'autorité de tutelle (DRIRE) toutes les informations mais un rapport très édulcoré comme cela vient d'être
expliqué ; que ce que M. Py, alors salarié par ATOFINA, a lors d'une
audition par les enquêteurs admis en ces termes à propos du rapport
édulcoré transmis à la DRIRE : « Ce rapport était destiné à être publié
et n'était pas un outil de travail comme les précédents. Avait été enlevé
tout ce que l'on considérait comme inachevé » ; que la CEI est même
allée plus loin en cherchant, parfois sur des points essentiels, à
devancer les investigations policières ; que le 5 octobre 2001, Maître
Boedels, avocat, a téléphoné au SRPJ de Toulouse pour l'informer que
des membres du groupe Total avaient contacté sa cliente, la société
Surca-Cita, pour obtenir d'entendre les salariés ayant travaillé sur le
site de Toulouse avant leur convocation par les services de police ; que
les policiers, qui n'avaient pas été informés de cette démarche auprès
de salariés travaillant sur le site AZF, ont alors pris attache avec un

 

20


responsable de la société Surca, M. Chaput, qui leur a expliqué : « des
personnes de la société Total Fina Elf ont contacté le responsable
d'agence et les commerciaux sous le prétexte de les faire intervenir
pour des prestations futures mais voulaient en fait les interroger sur
l'explosion et ce qui a pu se produire avant » ; que comme cela a été
expliqué précédemment, cette stratégie de la CEI a eu pour
conséquence d'exercer dès le 23 septembre 2001 des pressions telles
sur M. Faure que la fiabilité et la sincérité des dépositions ultérieures
de celui-ci s'en sont trouvées gravement affectées ; que s'agissant de
M. Biechlin, la cour constate, ainsi que cela a été confirmé à l'audience,
que celui-ci, après le 21 septembre 2001, rencontrait quotidiennement
les membres de la CEI et était informé en temps réel du résultat des
investigations ; qu’au demeurant, il est inconcevable que M. Biechlin,
plus que toute autre personne impliquée, n'ait pas cherché à connaître
la cause de l'explosion dans l'usine qu'il dirigeait ; que le dossier
d'instruction montre par ailleurs que M. Biechlin était le destinataire de
très nombreux documents envoyés par ou aux membres de la CEI,
notamment les comptes rendus de réunions ; qu’il recevait pareillement
une copie des convocations des membres de la CEI à diverses
réunions ; que dans son audition par les enquêteurs, M. Besson alors
directeur général de Grande Paroisse a déclaré à propos de la CEI :
« Personne n'a été désigné au sein de la commission pour être
l'interlocuteur de la police judiciaire. C'est souvent M. Biechlin qui
servait d'intermédiaire » ; que devant la cour, M. Besson a confirmé que
M. Biechlin faisait le lien avec la police ; qu’il avait déclaré devant le
tribunal correctionnel que « souvent M. Biechlin servait de lien avec la
police » ajoutant qu'il en était ainsi car ce dernier était le seul à être sur
le site en permanence ; et que lors de son audition devant le tribunal
correctionnel, M. Peudpiece, en réponse à une question du ministère
public, a confirmé à propos de M. Biechlin : « On l'informait » ; que
pourtant M. Biechlin a lui aussi fait le choix de ne rien transmettre à la
police sur les premières déclarations de M. Faure, de même que sur
tous les éléments conduisant inexorablement vers l'explication
chimique et qui étaient jour après jour portés à sa connaissance ;
qu’enfin, la cour relève que dans une audition M. Lannelongue, alors
coordonnateur des travaux de la CEI, a déclaré aux enquêteurs : « La
commission siégeait dans une salle de réunion d'ATOFINA (..) » ; qu’il
a précisé à propos de la direction du groupe Total : « Oui elle était
informée en temps réel. Je pense que ce devait être M. Perrazi lorsqu'il
était renseigné des rapports. Il y avait une transmission des comptes
rendus et des rapports d'étapes. (..) L'information circulait dans le sens
Grande Paroisse-Total. M. Perrazi informait Total. Lorsque M. Guyonnet
assistait aux réunions, il était informé en direct » ; qu’il a ajouté : « Les
résultats des expertises m'étaient passés pour classement. A cet effet
nous avons créé un centre de documentation avec une documentaliste.

 

21


Il se trouvait au siège d'Atofina. Il a été perquisitionné en juin 2002 (..).
Le centre de documentation se trouve actuellement à la tour Coupole
à la défense, au siège de Total » ; que M. Besson a précisé dans son
audition à la police que « à cette époque toute la documentation relative à l'explosion d'AZF se trouvait chez Atofina » ; que lors de son audition devant le tribunal correctionnel, M. Grosmaitre, alors directeur sécurité environnement Atofina, questionné sur les personnes participant aux réunions de la CEI, a répondu à la question « y avait-il un représentant de Total ? » en ces termes : « il y était invité. Je n'ai rien à dire de plus. (..) M. Guyonnet était invité. Il rendait peut être compte à sa hiérarchie » ; qu’auparavant, M. Grosmaitre avait déclaré aux enquêteurs : « La direction de Total était informée dans le cadre de la gestion de crise qui a été l'événement majeur jusqu'au 15 octobre. C'est dans le cadre de cette gestion de crise que j'avais à rendre compte à Total des problèmes liés à la gestion de cette crise » (..) ; qu’interrogé
sur la CEI par les policiers, M. Grosmaitre a précisé : « Dans cette
commission on retrouvait des personnes de Grande Paroisse, des
personnes d'Atofina détachées à cette commission et M. Guyonnet en
tant que représentant de Total » (..) ; « C'est M. Guyonnet qui tenait
Total informé sur l'avancement des travaux de la commission et bien
sûr la direction de Grande Paroisse » ; que M. Py a expressément
confirmé la transmission d'informations lors de son audition par les
enquêteurs ; qu’il a en effet déclaré : « Ma mission était d'investiguer
les éléments techniques afin de comprendre ce qu'il s'était passé. Ceci
n'a pas été formalisé. Il s'agissait également de faire le lien entre la
direction parisienne et locale car les informations arrivant à Paris
étaient inorganisées vues les difficultés de communication très
importantes. (..) La première réunion officielle a eu lieu une semaine
après les faits dans les locaux de Paris » ; qu’il résulte de ce qui
précède que la hiérarchie du groupe Total était en permanence informée
de l'évolution des investigations de la CEI et recevait une copie de tous
les rapports ; que leur évolution surprenante décrite plus haut n'a donc
pas pu échapper aux responsables du groupe qui, pourtant, n'y ont rien
trouvé à redire ; conclusion sur la CEI, il ressort de ce qui précède que
la CEI, composée de cadres de haut niveau du groupe Total
parfaitement au courant des caractéristiques et des incompatibilités
des produits ainsi que du mode de fonctionnement du site d'AZF
Toulouse, qui avait récolté un maximum d'éléments sur les causes de
l'accident, a rapidement réalisé que l'explication de l'explosion se
trouvait dans un apport de produits chimiques incompatibles avec les
nitrates ; que la CEI a décidé de ne pas transmettre à la police, au juge
d'instruction, et aux autorités de tutelle les informations qu'elle seule
détenait et qui étaient susceptibles de permettre de déterminer la cause
réelle de l'explosion ; que les témoignages recueillis montrent que cette
rétention d'informations s'est faite alors que la direction du groupe était

 

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informée en permanence et en temps réel de l'évolution des
investigations et du contenu des rapports successifs dont elle recevait
copie ; que M. Biechlin, qui ne s'est jamais désolidarisé de la CEI, a
adopté la même position et fait lui aussi le choix de ne pas transmettre
à la justice des informations qu’il savait pourtant essentielles ; que ce
choix commun d’agir de la sorte a empêché que les leçons soient tirées
de la catastrophe dans les entreprises du groupe Total, et notamment
que tout soit mis en place pour que la sécurité des salariés, au premier
rang desquels ceux des entreprises sous-traitante, soit enfin assurée ;
que, sur la fixation du montant des frais de procédure, les critères de
calcul des sommes dues, le montant global des indemnités sollicitées
est certes d’une exceptionnelle importance ; que néanmoins, la
particularité de cette procédure, dont les conséquences, l’ampleur et la
durée sont tout aussi exceptionnelles, a nécessité un travail très
important de la part des avocats ; qu’en effet, la maîtrise du dossier par
les avocats étant intervenus au soutien de l’action publique a nécessité
de nombreuses heures de lecture des multiples pièces au cours de
l’instruction, du procès en première instance et de la procédure d’appel,
une disponibilité permanente auprès des victimes soucieuses de
connaître les résultats des différentes investigations, de comprendre
la cause de l’explosion et les complexités de la procédure, et cela
pendant plus de onze ans, ce qui doit nécessairement être pris en
compte dans l’attribution de l’indemnité ;


“ et aux motifs repris dans les cinquième et sixièmemoyens ;


“1o) alors que toute personne a le droit d’être jugée par un
tribunal indépendant et impartial ; que Mme Le Men Regnier, désignée
par ordonnance spéciale du premier président pour composer la
juridiction d’appel appelée à statuer sur l’explosion survenue dans
l’usine AZF, ne pouvait, sauf à méconnaître l’exigence d’impartialité et
le droit pour les parties à un procès équitable, statuer sur le litige ;
qu’en effet, elle avait, sans que cet élément ait été révélé aux parties, la
qualité de vice-présidente de l’INAVEM, association de défense des
victimes, très présente pendant toute la procédure, à travers son
association locale, la SAVIM, et qui, au surplus, a, dans le cours de la
procédure et sans que cet élément ait été porté à la connaissance des
parties, signé une convention de partenariat privilégié avec la FENVAC,
partie civile dans le procès qui constitue la seule association à avoir
obtenu réparation de son préjudice moral et qui compte en outre, parmi
ses membres, l’Association des familles endeuillées, elle aussi partie
civile, s’étant vue allouer une somme de 1 000 000 d’euros au titre de
ses frais de procédure et le comité de défense des victimes d’AZF,
partie civile lui-aussi, s’étant vu allouer 260 000 euros au titre de ces

 

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mêmes frais ; qu’en l’état de ces liens entre certaines parties civiles et
Mme Le Men Regnier qui s’est abstenue d’en faire état et de se récuser,
les exigences du droit à un procès impartial et équitable ont été
gravement méconnues ;


“2o) alors qu’il résulte de la procédure que M. Huyette a eu
un geste grossier, provocateur, injurieux et indélicat à l’encontre de la
défense consistant à refermer les doigts sur le pouce en forme de
clapet et visant à intimer trivialement le silence ; que la défense a
demandé la récusation de ce magistrat ; que cette demande a été
rejetée aux motifs que si le magistrat avait bien eu un geste de la main
gauche maladroit, celui-ci s’expliquait par le comportement de la
défense ; que ce geste dont le premier président reconnaissait la réalité
et qui est établi tant par les attestations obtenues par la défense, que
par l’enregistrement vidéo des audiences de l’affaire, était incompatible
avec le devoir de prudence et de modération qui s’impose au magistrat
en vertu de son obligation d’impartialité ; que la violation du droit à un
procès impartial et équitable est caractérisée ;


“3o) alors que la partialité peut être révélée par les motifs
d’une décision manifestant un parti pris défavorable au prévenu, voire
à la défense ; que, sur les enseignements à tirer de la forme du cratère
où l’explosion a eu lieu, la cour d’appel considère d’abord que l’avis
des experts de la défense ne peut être retenu parce que la géophysique
des lieux est de peu d’importance, pour retenir ensuite les résultats de
l’expertise judiciaire, s’appuyant sur des sondages corrélés avec la
géophysique, ce qui établit que celle-ci n’était pas indifférente ; qu’en
se prononçant ainsi, la cour d’appel, qui a manifesté un parti pris
défavorable à la défense, a méconnu les exigences d’un procès
équitable ;


“4o) alors qu’en considérant que les tirs auquel avait
procédé l’expert de la défense, M. Lefebvre, n’étaient pas probants
traduisant soit une méconnaissance des lois de la détonique, soit la
volonté de mettre en échec les résultats de l’expérience de l’expert
judiciaire, quand il résulte des termes mêmes de l’arrêt que la cour
d’appel trouve dans les résultats de son rapport toutes les informations
qui permettaient d’en apprécier la fiabilité, la cour d’appel qui se livre
à un jugement moral de cette expertise qui n’était pas nécessaire à
l’appréciation de sa valeur et de sa force probante, révèle, une fois
encore, son parti pris en défaveur de la défense ;


“5o) alors qu’en se faisant juge de l’attitude de la
commission d’enquête interne, voire de la défense en général qui aurait
voulu dissimuler des éléments d’information au magistrat instructeur,

 

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quand il résulte des pièces de la procédure que ces faits avaient abouti
à un non-lieu, ayant l’autorité de la chose jugée, la cour d’appel a violé
tant cette autorité de la chose jugée que la présomption d’innocence et
son devoir d’impartialité ;


“6o) alors que la cour d’appel considère que la défense a
volontairement transmis à plusieurs experts un plan du bâtiment 221 et
de la position des tas erroné « par stratagème » ; que dès lors qu’elle
constate elle-même que la commission d’enquête interne avait bien
situé les tas selon les témoignages qu’elle estimait les plus crédibles,
c’est par un manque évident d’impartialité qu’elle fait état de l’existence
d’un prétendu « stratagème » de la défense, contredit par le travail de
la commission d’enquête interne, qu’elle estimait pourtant acquise à la
cause de la défense ;


“7o) alors que la cour d’appel a tout d’abord considéré que
l’hypothèse d’un attentat était exclue aux motifs qu’aucune preuve
matérielle n’avait été trouvée sur les lieux de l’explosion, tandis qu’il
aurait fallu un dispositif lourd, placé à l’intérieur du tas principal du
bâtiment 221, pour faire détoner du NA ; qu’elle a ensuite retenu
l’hypothèse qu’un mélange accidentel de nitrate et de DCCNA (1 kg)
dans le box de ce bâtiment était la cause de la détonation sans qu’il ne
ressorte aucunement de sa décision que cette dernière hypothèse ait
été confirmée par de quelconques constatations matérielles dans le
bâtiment 221 ; qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel qui a cru
pouvoir retenir que seule l’hypothèse d’un mélange accidentel devait
être considérée comme établie, sans expliquer, en l’absence de
constatations matérielles dans les deux cas, ce qui permettait d’exclure
qu’une personne malveillante ait déversé un kilogramme de DCCNA
dans le box, a encore manifesté son parti pris, contraire au principe
d’impartialité, en faveur de la seule hypothèse permettant de retenir la
responsabilité des prévenus ;


“8o) alors qu’en traitant différemment la question du lieu
d’initiation de la détonation qui serait à l’origine de la catastrophe du
21 septembre 2001, selon qu’elle envisageait la piste terroriste ou la
piste accidentelle et selon ce qui servait cette dernière thèse, la cour
d’appel a encore manifesté sa partialité à l’encontre de la défense ;


“9o) alors qu’il ressort de sa décision que la cour d’appel
a considéré que les salariés qui avaient pu se trouver à proximité de
produits chlorés dans le bâtiment 335, pouvaient sentir leur odeur ou
ne pas la sentir, selon ce qui servait la preuve à laquelle la cour d’appel
souhaitait aboutir ; qu’en retenant que des produits chlorés se
retrouvaient, en quantité relativement importante, dans le bâtiment 335,

 

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et qu’ils avaient été transportés dans le bâtiment 221, où ils avaient
entraîné une détonation, tout en considérant que le salarié qui aurait
pelleté ce produit représentant au moins un kilogramme de DCCNA,
produit chloré, pouvait ne pas en reconnaitre l’odeur, dans un local
comportant d’autres produits, quand un autre salarié, qui n’était pas
affecté à ce bâtiment pouvait, selon l’arrêt, sentir de telles odeurs, la
cour d’appel a encore manifesté une approche partiale des faits dont
elle était saisie ;


“10o) alors qu’en décidant d’accorder le remboursement
des frais de procédure des parties civiles selon leur soutien à
l’accusation, impliquant que celles qui avaient recherché, au-delà de ce
soutien, la vérité, acceptant de discuter d’autres causes possibles de
l’accident, ne bénéficiaient pas du même droit à remboursement, la
cour d’appel a encore manifesté sa croyance, acquise dès avant le
début du procès, que, selon elle, la seule cause envisageable de
l’accident était l’accident chimique causé par la faute des prévenus ;
qu’en statuant ainsi, elle a, là encore, manifesté son manque
d’impartialité ” ;


Sur le premier moyen de cassation proposé pour
M. et Mme Mauzac, pris de la violation des articles 6, § 1, de la
Convention européenne des droits de l'homme, 16 de la Déclaration des
droits de l’homme de 1789, de l’article préliminaire, des articles 591, 593 et 668-2o du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;


“ en ce que l’arrêt attaqué, rendu par la chambre des appels correctionnels à laquelle a participé Mme Le Men Regnier,
conseiller, a rejeté le supplément d’information sollicité par M. et
Mme Mauzac et statué sur les dispositions civiles ;


“ alors que l’exigence du procès équitable interdit la
participation à la chambre des appels correctionnels de tout magistrat
dont les liens avec certaines parties sont de nature à faire peser un
doute sur l’impartialité de la juridiction de jugement ; qu’est en l’espèce
de nature à faire peser un doute sérieux sur l’impartialité de la chambre
des appels correctionnels de Toulouse la participation à cette chambre
de Mme Le Men Regnier dont il s’est avéré, après que l’arrêt a été
rendu, qu’elle était vice-présidente depuis début 2011 de l’INAVEM,
association d’aide et d’assistance aux victimes qui, via son antenne
locale, la SAVIM, a joué un rôle majeur d’assistance aux victimes de la
catastrophe AZF tout au long de l’instruction et du procès de l’affaire ;
que ce doute est encore accru du fait de la conclusion au cours du
procès d’appel, le 10 décembre 2011, d’une convention de partenariat

 

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officialisant une situation préexistante entre l’INAVEM et la FENVAC,
association partie civile au procès de la catastrophe, et dont sont
membres deux autres associations également parties civiles,
l’association des familles endeuillées et le comité de défense des
victimes d’AZF ; que la chambre des appels correctionnels de
Toulouse, ainsi composée, ne pouvait, sans violer les textes susvisés,
se prononcer valablement ” ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour l’association AZF mémoire solidarité, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, de l’article préliminaire, des articles 591, 593 et 668-2o du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;


“ en ce que l’arrêt attaqué à été rendu par la chambre des
appels correctionnels composée notamment de Mme Maryse Le Men
Regnier, conseiller ;


“ alors que l’exigence du procès équitable interdit la participation à la chambre des appels correctionnels de tout magistrat dont les liens avec certaines parties sont de nature à faire peser un doute sur l’impartialité de la juridiction de jugement ; qu’est, en
l’espèce, de nature à faire peser un doute sérieux sur l’impartialité de
la chambre des appels correctionnels de Toulouse la participation à
cette chambre de Mme Le Men Regnier dont il s’est avéré, après que
l’arrêt a été rendu, qu’elle était vice-présidente depuis début 2011 de
l’INAVEM, association d’aide et d’assistance aux victimes qui, via son
antenne locale, la SAVIM, a joué un rôle majeur d’assistance aux
victimes de la catastrophe AZF tout au long de l’instruction et du
procès de l’affaire ; que ce doute est encore accru du fait de la
conclusion au cours du procès d’appel, le 10 décembre 2011, d’une
convention de partenariat officialisant une situation préexistante entre
l’INAVEM et la FENVAC, association partie civile au procès de la
catastrophe, et dont sont membres deux autres associations également
parties civiles, l’association des familles endeuillées et le comité de
défense des victimes d’AZF ; que la chambre des appels correctionnels
de Toulouse, ainsi composée, ne pouvait, sans violer les textes
susvisés, se prononcer valablement” ;


Les moyens étant réunis ;

 

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Sur les moyens proposés pour M. et Mme Mauzac, pour
l’association AZF mémoire solidarité et sur le moyen proposé pour la société Grande Paroisse et M. Biechlin, pris en sa première branche :


Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits
de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale ;


Attendu que, selon ces textes, toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ;


Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces produites
devant la Cour de cassation que Mme Le Men Regnier, conseiller à la cour d’appel, ayant siégé dans la formation qui a connu de l’affaire, était, lors des débats, qui se sont déroulés du 3 novembre 2011 au 16 mars 2012, viceprésident, depuis juin 2011, de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), dont le conseil d’administration comprenait le Service d’aide aux victimes, d’information et de médiation (SAVIM), association ayant assisté les victimes depuis le jour de l’explosion et tout au long de laprocédure ;


Attendu qu’il ressort des pièces complémentaires soumises
contradictoirement par les demandeurs à la chambre criminelle et notamment d’une décision rendue le 23 septembre 2014 par la commission d’admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature, saisi par M. Biechlin et la société Grande Paroisse après le prononcé de l’arrêt attaqué, que, plusieurs semaines avant l’ouverture du procès, Mme Le Men Regnier avait avisé le premier président de la cour d’appel de Toulouse des fonctions qu’elle exerçait au sein de l’INAVEM ; que, de son côté, M. Brunet, présidentde la chambre devant connaître de l’affaire, avait demandé au premier président de la cour d’appel de désigner un autre magistrat en remplacement de Mme Le Men Regnier ; que le premier président, estimant que l’appartenance de celle-ci à une fédération d’associations d’aide aux victimes ne constituait pas un obstacle à sa participation à la formation de jugement,n’a pas fait droit à cette demande ; que la commission d’admission des requêtes a, pour sa part, estimé que cette situation, bien que ne permettant pas de caractériser l’existence d’un manquement susceptible de constituer une faute disciplinaire, avait pu légitimement susciter une interrogation de la part des prévenus quant à l’impartialité de Mme Le Men Regnier ;


Attendu que, le 10 décembre 2011, alors que les débats étaient
en cours devant la cour d’appel, l’INAVEM a conclu une convention de
partenariat avec la Fédération nationale des victimes d’attentats et
d’accidents collectifs (FENVAC), partie civile en la cause, à laquelle étaient adhérentes deux autres associations, elles aussi parties civiles, l’Association des familles endeuillées et le Comité de défense des victimes d’AZF ; que

 

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cette convention a pour objet “de formaliser les relations entre les deux
fédérations et d’affirmer leur reconnaissance réciproque et leur volonté de travailler ensemble sur tout sujet relatif aux droits des victimes, mais également lors de la survenance d’événements collectifs et d’attentats” ; qu’elle prévoit la création, en cas d’accident collectif, d’un comité de suivi dont les deux fédérations sont membres de droit afin d’exercer des “actions complémentaires et non contradictoires”, les échanges entre les deux fédérations devant perdurer “tout au long de la procédure et jusqu’au procès, où là encore, en fonction des circonstances et des besoins des victimes, elles pourront faire appel l’une à l’autre pour assurer l’accompagnement et le soutien des victimes au moment des audiences” ; qu’aux termes de cette “collaboration institutionnelle”, chacune des fédérations devient “partenaire
privilégié” de l’autre ;


Attendu qu’il ne ressort pas des éléments soumis à la Cour de
cassation que les demandeurs aient eu connaissance, lors des débats, des fonctions de Mme Le Men Regnier au sein de l’INAVEM et des relations existant entre cette association et la FENVAC, et qu’ils aient pu présenter, en temps utile, une requête en récusation ;


Mais attendu que si l’adhésion d’un juge à une association, et
spécialement à une association ayant pour mission de veiller à l’information et à la garantie des droits des victimes, laquelle, aux termes de l’article préliminaire II du code de procédure pénale, entre dans les attributions de l’autorité judiciaire, n’est pas, en soi, de nature à porter atteinte à la présomption d’impartialité dont il bénéficie, il en va autrement en l’espèce, en raison des liens étroits, traduits par la convention du 10 décembre 2011, noués entre les deux fédérations, dont l’une était partie civile dans la procédure et l’autre avait pour vice-président l’un des juges siégeant dans la formation de jugement ; qu’ainsi, en omettant d’aviser les parties de cette
situation, alors que ces éléments étaient de nature à créer, dans leur esprit, un doute raisonnable, objectivement justifié, sur l’impartialité de la juridiction, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;


D’où il suit que la cassation est encourue ;


Et sur le sixième moyen de cassation (les vices portant sur
le délit de destruction ou de dégradation involontaires de biens)
proposé pour la société Grande Paroisse et M. Biechlin, pris de la
violation des articles 322-5 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;


“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Grande Paroisse et M. Biechlin coupables de destruction et dégradation involontaires de biens et les a condamné pénalement et civilement ;

 

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“aux motifs rappelés dans le précédent moyen decassation ;


“alors que l’article 322-5 du code pénal réprime la
destruction, la dégradation ou la détérioration involontaire d'un bien
appartenant à autrui par l'effet d'une explosion ou d'un incendie
provoqués par manquement à une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou le règlement ; qu’en entrant en voie de
condamnation sur le fondement de fautes caractérisées et notamment
du non-respect d’un arrêté préfectoral, qui ne constitue pas un
règlement au sens de la disposition précitée, la cour d’appel qui, tout
en déclarant les prévenus coupable de destruction et dégradation de
biens involontaires n’a pas caractérisé un manquement à une obligation
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, a privé
sa décision de base légale ” ;


Vu l’article 322-5 du code pénal ;


Attendu que, selon ce texte, le délit de destruction ou
dégradation involontaire d’un bien par explosion ou incendie ne peut être constitué qu’en cas de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ;


Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables du délit
prévu par l’article 322-5 du code pénal, l’arrêt se réfère implicitement aux fautes de maladresse, imprudence, inattention ou négligence constitutives des délits d’homicides et de blessures involontaires retenues à leur encontre ;


Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors qu’il lui appartenait
de caractériser l’existence d’un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la cour d’appel a méconnule texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;


D’où il suit que la cassation est, à nouveau, encourue ;


Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens de cassation et griefs proposés :


I - Sur le pourvoi de M. Borhani :


Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;


II - Sur les pourvois de M. Du Bois de Gaudusson, M. Bouita,
M. Khatbi, Mme Saiah Habbaze, Mme Amina Sayah, Mme Anissa Sayah,
Mme Latifa Sayah, M. Mohamed Lyamine Sayah, M. Nordine Sayah,

 

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M. Rabah Sayah, Mme Samia Sayah, Mme Kenza Sayah, épouse
Bendjeddou, M. Gérard :


Les REJETTE ;


III - Sur les autres pourvois :


CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d’appel de Toulouse, en date du 24 septembre 2012, et pour qu'il
soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de
Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;


DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de
procédure pénale ni de l’article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991
relative à l’aide juridique ;


ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur
les registres du greffe de la cour d'appel de Toulouse et sa mention en margeou à la suite de l'arrêt annulé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle,
et prononcé par le président le treize janvier deux mille quinze ;


En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le
rapporteur et le greffier de chambre.

Contactez-nous - Dernière mise à jour : 14/01/2015